Alors que le dernier baromètre Sexisme rapporte que 72 % des femmes considèrent que les femmes et les hommes ne sont pas traité.es de la même manière dans le monde du sport, à l’occasion de la journée internationale du sport féminin, nous sommes allés à la rencontre d’Alaia AICAGUERRE, arbitre de rugby camboarde.
Dans un premier temps, peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Alaia AICAGUERRE, j’ai 22 ans. J’ai fait toute ma scolarité à Seaska. Je suis actuellement en deuxième année de Master MEEF à Pau. J’ai fait 8 ans d’athlétisme avant de me lancer dans le rugby. J’ai joué 3 ans en années cadettes. A la suite d’une blessure, je me suis lancée dans l’arbitrage, il y a maintenant 4 ans.
Ce lancement dans l’arbitrage a-t-il été instinctif ?
Ça a mis un peu de temps à cheminer. Je jouais aussi en UNSS, et on m’avait proposé d’arbitrer, j’ai toujours refusé, je ne voulais absolument pas. Je voulais juste jouer car j’étais capitaine de mon équipe. Après, est arrivée cette blessure. Et ma mère, en avait parlé avec son patron qui est arbitre. Elle lui avait dit : “bon, peut-être que ma fille voudrait”, mais c’était juste parce que j’avais évoqué ça un jour, sans vraiment y penser. Il en avait parlé à certaines personnes. C’était le président de Nafarroa qui m’avait contacté en me disant « On est en Fédérale 1, il nous faut trois arbitres, on n’en a que deux. Est-ce que tu peux nous sauver pour une saison et arbitrer ? ». J’avais accepté. Depuis, je ne me suis pas arrêtée.
Qu’est-ce qui t’a vraiment motivée, t’a fait accepter cette proposition de Nafarroa ?
Je jouais à l’ASB à l’époque. Le rugby féminin n’était pas du tout développé à cette époque, il n’y avait aucun autre club vers chez nous, donc je jouais à Bayonne. Ce qui m’avait motivé c’était de rester connectée au rugby, sachant que je ne pouvais plus jouer. Je m’étais dit : “Pourquoi pas essayer ? C’est un autre regard, mais bon, pourquoi pas ? Je tente l’aventure pendant un an et on verra bien. »
Ce n’est pas juste l’aventure d’un an finalement ! Et justement quel est le parcours ? Comment se forme-t-on pour être arbitre de rugby ?
En arbitrage, on passe des écrits. Il y a le niveau ACF, puis le niveau 1, le niveau 2, le niveau 3 et le niveau 4. Et une fois qu’on a le niveau 4, on peut être classé. Mais là, ça voudra dire qu’on a les écrits suffisants pour pouvoir monter et aller au plus haut niveau. Actuellement, j’ai eu le niveau 4 l’année dernière, le plus haut niveau des écrits. Donc je peux être classée, à partir de l’année prochaine, en Fédérale 3.
Et comment fait-on ?
Chaque année, on peut passer le niveau supérieur : c’est ce que j’ai fait. Etant dans les 12 meilleures copies des écrits du niveau 3 de France, l’année dernière, je suis allée à Marseille passer les oraux pour le « concours du jeune arbitre » et je l’ai eu ! Donc j’ai directement eu le niveau 4.
Comment se passe ce concours ?
Au préalable, tous les arbitres de France qui souhaitent passer le niveau 3 passe le même écrit, fait par la Fédération Française. Les filles qui ont moins de 25 ans et les garçons qui ont moins de 23 ans sont considérés comme étant jeunes. Si on est dans les 12 meilleures copies de France, on va directement à l’oral, normalement à Paris. L’année dernière, c’était à Marseille, étant donné que la finale était à Marseille. Lors du concours, il y a des tests sur vidéo, on nous pose des questions sur le jeu, sur les fautes.
Aujourd’hui à quel niveau arbitres-tu ?
Actuellement, je fais beaucoup de Régionale 1. J’arbitre les matchs des réserves de Fédérale, et je peux faire des jeunes aussi.
Tout cela parce que j’ai le niveau 4, le plus haut niveau, c’est le niveau fédéral. J’ai passé toutes les formations à l’écrit, je n’en aurai plus. Ensuite, c’est avec les supervisions qu’on nous note, sur le terrain seulement. Selon les supervisions, tu es classé en Fédéral 3 ou non. Puis, tu peux monter comme tu peux descendre.
As-tu rencontré des difficultés pendant ton parcours de formation ou quand tu étais sur le terrain ?
Pour moi, le plus dur est d’allier mes études à l’arbitrage, car on me demande beaucoup d’implication au niveau de l’arbitrage, ça me prend énormément de temps : analyser mes vidéos, toutes les réunions de secteur ; l’année dernière, j’avais aussi toutes les réunions de préparation pour mes examens. On a également un groupe féminin avec qui on fait des visios.
Sur le terrain, je suis sortie de quelques matchs un peu dégoûtée de ce que j’ai pu entendre. Mais j’ai quand même su assez rapidement rebondir et y repartir le week-end suivant.
Pourrais-tu nous en dire plus sur le groupe féminin ?
Depuis l’année dernière, le responsable de l’arbitrage féminin de Nouvelle Aquitaine a monté un groupe d’arbitres féminines de la région. On fait des réunions en visio pour se soutenir. Je dirais que nous sommes une cinquantaine d’arbitres féminines en Nouvelle Aquitaine, 6 dans le 64.
Ce besoin de soutien, vient-il des propos entendus lors de certains matchs, desquels tu étais ressortie “un peu dégoutée” ?
Le rugby reste un milieu encore très masculin, même si le rugby féminin se développe de plus en plus. Beaucoup de matchs qu’on arbitre, ce sont des garçons. Et on peut entendre beaucoup de remarques encore très machistes. Pour ma part, j’ai pu entendre “sale pute, salope, repart dans la cuisine, etc”. Donc il faut savoir comment réagir à ces propos.
Dans ces situations, quel est ton “pouvoir” en tant qu’arbitre ?
Tout va dépendre si c’est une personne qui est licenciée ou si ce sont des personnes du public qui disent ces propos. Je ne peux pas faire de rapport, mais je peux arrêter le match si j’entends trop de propos sexistes et qu’ils ne cessent pas. Tout comme des propos racistes.
Ressens-tu de la pression avant les matchs ?
De base, je ne suis pas trop stressée. Il y a toujours un peu de stress, mais généralement, ça va. Quand j’arbitre, je suis énormément dans ma bulle et je n’entends pas forcément tout ce qui se dit autour.
Quels sont tes projets à venir en arbitrage ? Quel serait ton rêve ?
Cette année, j’ai dit que je faisais mon quota de 12 matchs pour l’US Cambo, pour me consacrer à mes études. Ensuite, si je peux aller le plus haut possible, je ne dirais pas non, sans bruler les étapes et monter trop vite.
As-tu une ou plusieurs anecdote(s) à nous raconter ?
Lors d’un match de réserve de Fédérale 3, à Saint-Palais, contre Barcus, quand j’étais sortie du terrain, il y avait vraiment tout le public qui s’était levé, qui m’avait applaudie. Il y avait aussi plusieurs personnes qui m’avaient arrêtée sur le bord du terrain pour me féliciter. Ça ne m’était jamais arrivé. Ça m’avait fait quelque chose, que vraiment tout le public se lève, que les speakers me félicitent au micro. Je n’avais jamais entendu ça pour un arbitre !
Sinon, généralement, on m’appelle « Monsieur l’arbitre ». (Rires)
On sait que le rugby manque d’arbitre, justement parce qu’on peut entendre des propos tels qu’évoqués plus tôt.
Que dirais-tu aux jeunes qui hésitent aujourd’hui à se lancer dans l’arbitrage ?
De se lancer justement ! S’ils hésitent, qu’ils ont un doute, c’est qu’au fond d’eux, il y a un peu d’envie. Ils verront bien ! Qu’une vocation naisse chez eux ou non, dans tous les cas, ce sera une expérience enrichissante qui va beaucoup leur apporter ! Ce ne sera vraiment pas une année perdue. Ça m’a apporté énormément de confiance en moi, d’autres choses aussi, comme la gestion du stress, qui m’aident dans la vie de tous les jours. C’est aussi important pour la vie personnelle et pour les oraux de Master par exemple.
Et enfin, aurais-tu un conseil à donner aux filles/femmes qui hésitent à se lancer dans un sport ou un domaine ?
Ne pas hésiter ! Si on a envie, on est tout autant capable que des garçons ! Donc s’il y a une envie, il faut y aller et foncer !
